G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur

samedi 10 mai 2025

La véritable histoire d'Actéon

 

J’apprécie particulièrement, dans J’écris l’Illiade, la proximité naturelle avec les dieux. Comme ça, sans préliminaires ni emphase, sans invocation occulte et surtout rien de religieux. Le monde d’avant (le vrai), comme si les siècles de monothéisme avaient compté pour du beurre. Et avec une grande inventivité, comme lorsque nous sommes entrainés dans les pas d’Actéon. Le récit mythologique, je l’avais découvert avec le tableau de François Clouet intitulé « Le bain de Diane » exposé au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Michon le connait de l’intérieur ; il y était. Et il sait comment les choses se sont passées. Contrairement à ce que raconte la légende, la déesse pudique n’a pas été surprise dans sa nudité par le chasseur curieux. Ce qui s’est joué entre eux deux relève de la complicité silencieuse, un échange visuel du type exhibition/voyeurisme. La déesse étant allée trop loin dans le plaisir pris à ce jeu, on comprend mieux la violence avec laquelle elle a châtié son complice.


vendredi 9 mai 2025

La Grande Ourse


 Effet Michon ? Une irrésistible envie s’est emparée de moi : remonter du côté de Rimbaud, vers la Grande Ourse, en passant (et oui !) par Sollers, l’un de mes critiques littéraires favoris. J’ouvre La Guerre du goût. « C’est l’été. Je suis à Long Island. Je relis les Illuminations, le livre qui restera lorsque plus personne ne se souviendra de rien. » (Y sommes-nous ?) « En ce temps-là, seuls quelques rares passants pourrons se promener dans l’après-monde comme s’il s’agissait d’un volume ouvert à chaque moment. Je vois des phrases, des mots, les syllabes me guettent, on dirait que les signes palpitent comme ce qui fut autrefois paysage et tableau. J’éteins la télévision. » (Aujourd’hui, on dirait l’ordinateur ou le téléphone). C’est parti. Direction Rimbaud. Je prends puis repose le livre de poche de mes 17 ans. Les pages se détachent et menacent de s’envoler. Je me rabats sur un livre de lycée (Garnier-Flammarion) plus austère. 17 ans, c’était le bon âge pour lire Sensation et La Saison en enfer. Je compte sur mes doigts. Aucun doute, cela se passait en 1975. Ce qui confirmerait l’existence d’un pont temporel quantique avec ce que nous appelons aujourd’hui ?

jeudi 8 mai 2025

1975 (suite)

 

Je parcours la liste d’évènements qui se sont déroulés cette année-là et je réalise à quel point l’actualité nous laissait indifférents. La mort de Franco avait donné lieu à une couverture amusante de Reiser. C’est à peu près tout ce que j’ai retenu. Ce n’était pas un sujet de discussion entre nous. Le sujet important, c’était l’information concernant la prochaine boum, « fête musicale et dansante organisée par des adolescents », nous dit wiki qui précise que la boum est « fortement connotée aux premiers émois amoureux et à l'éveil sexuel des adolescents, à travers leurs premiers slows, dans les années 1960 et 1970. » Je ne me souviens pas de slows plus ou moins torrides. On passait plutôt notre temps à sauter sur place sur Midnight Rambler dans la version live. Après nous être secoués en rythme, nous nous écroulions inondés de sueur, souvent trop ivres pour nous occuper des filles qui devaient terriblement s’ennuyer.


mercredi 7 mai 2025

Obsession

 

J’aime bien trouver chez des gens de ma génération une certaine constance dans l’attachement à ce qui fut notre passion adolescente : le rock. En même temps, je mesure ce que cet intérêt démesuré pour un style musical peut avoir d’envahissant et parfois de limité. J’évite d'ailleurs les contacts à cause de l’image en miroir qu’ils me renvoient. Je comprends trop bien le besoin de se rassurer en tournant indéfiniment autour du déjà connu. Je suis moi-même toujours à la limite de rechuter. En ce moment, par exemple, je réécoute les Who et j'y prends un grand plaisir.

mardi 6 mai 2025

Abondance

 

Avec Pierre Michon cuvée 2025, on a à la fois une écriture qualité supérieure et du sexe. Des pages lyriques pour décrire le remplissage d’une locomotive à vapeur lors d’une halte de nuit en rase campagne. Le bras de la citerne au-dessus de la locomotive dont le moteur tourne au ralenti en laissant échapper des bruits évocateurs devient alors, dans la prose fiévreuse de Michon, une métaphore excitante de l’acte sexuel. Des pages lubriques dans lesquelles le jeune narrateur s’abandonne dans un compartiment avec une brune qui jouit en criant Mamma Mia. On enchaine avec le vieil Homère rêvant de la très désirable Hélène, prostituée sublime, qualifiée de « chair à dieux ». Puis soudain, au détour d’un souvenir, on tombe sur cette phrase : « L’homme est une machine de guerre ; dès qu’il vous rencontre, il note avec soin les points faibles de votre citadelle. » Le reste est souvent de ce niveau. On pense à Salammbô plus d’une fois, ce qui donne une idée du niveau. On se prend à s’inquiéter pour les prochaines lectures qui risquent de paraître fadasses. Mais c’était déjà le cas avec Jim Thompson. Tous les bons livres, en fait.


lundi 5 mai 2025

ECRIRE

 

Bill Térébenthine

certains textes sont dictés

pendant une insomnie

ou pendant la promenade du chien

il faut tenter de les retenir

ou les noter lorsque c’est possible

il y en a qui s’écrivent

au fur et à mesure

comme ça

parce qu’il fait trop chaud

pour lire

regarder un film

ou dessiner

écrire en écoutant

de la musique

demande moins d’effort

on savoure le fait

d’avoir cette possibilité

il serait dommage

de ne pas en profiter


samedi 3 mai 2025

C'est quoi le problème ?


 Un écologue n’est pas nécessairement un terroriste. Certes, il peut venir gâcher un peu la journée surtout si vous recevez ses dernière nouvelles en matinée (l'autre matin, c’était à propos de la disparition des insectes). Mais il a une excuse : il se trouve en possession de données scientifiques terrifiantes, tout s’accélère dans le mauvais sens et, comme dans un film hitchcockien, personne ne veut l’écouter. Ceux qui ont choisi le déni sont désormais suffisamment nombreux pour influer sur les élections. Après tout, pourquoi changer de modèle économique alors qu’on peut aisément faire disparaitre le problème en effaçant les données et en bloquant la recherche ? Il suffisait d’y penser.

vendredi 2 mai 2025

Les pires tyrans et les bons rois

 

« Contrairement au Confucius historique, le Confucius de Tchouang-Tseu embrasse dans une même réprobation les pires tyrans et les « bons rois » les plus universellement révérés. Ces derniers n’ont pas mieux valu que les premiers, affirme-t-il tranquillement, faits historiques à l’appui. Les uns ont été plus avides de prestige, les autres plus avides de possessions, voilà tout. Et ces deux formes d’avidité sont, chez les puissants de ce monde, des forces que nul ne peut arrêter. » Jean François Billeter, Etudes sur Tchouang-Tseu (Allia)