Depuis ce matin, je nettoie les Velux. C’est une entreprise d’une certaine ampleur. Je conseille sérieusement cette activité à tous ceux qui se sentent légèrement plombés par le spectacle en cours. Ce serait dommage de gâcher une belle matinée d'automne et son beau soleil rasant à cause des gesticulations des uns et des autres. Il suffit de changer de lunettes ou de nettoyer des vitres pour réaliser que tout est une question de regard et donc de transparence. Le travail alimentaire de Spinoza consistait à polir des verres destinés à des loupes, des microscopes ou des longues-vues. Je ne sais pas traduire en mots cette sensation de voir plus clairement chaque détail. Nabokov a écrit des choses magnifiques sur le miroitement des choses en décrivant avec précision le moindre détail. A relire, donc.
vendredi 3 octobre 2025
mercredi 18 juin 2025
Sur Nabokov
A la fin d’un article consacré à Nabokov, Martin Amis écrit : « L’essence nabokovienne est d’une instabilité miraculeusement fertile : sans crier gare, les mots se détachent du quotidien et s’élancent comme des fusées dans un ciel nocturne, illuminant des verstes* cachées de désir et de terreur. * Il s’agit d’une unité de distance ancienne utilisée notamment en Russie.
Pour illustrer son propos, Amis cite
un passage de Lolita qui se passe de
commentaires. « Nous connûmes les
divers types de revendeur de voiture, le criminel réformé, le professeur à la
retraite et l’entrepreneur qui rate tout, chez les hommes ; et, chez les
femmes, la maternelle, celle qui joue à la grande dame et toutes les variations
de matrones. Parfois, les trains hurlaient dans la nuit monstrueusement chaude
et humide avec un écho déchirant et sinistre, mélangeant pouvoir et hystérie
dans un cri désespéré. »
mardi 17 juin 2025
Dialogue
— La manière que tu as de te
précipiter dans ton fauteuil dès que tu en as l’occasion pour te plonger dans
ton livre a quelque chose de désobligeant.
— Les
discours qui prétendent encourager la lecture sont des faux semblants. Les
lecteurs ont toujours dû se cacher pour s’adonner à leur plaisir.
— Pourrais-tu me dire ce qu’il y a de si captivant dans ce que tu lis en ce moment ?
— Je ne suis pas critique
littéraire mais je peux te lire un passage de ce roman de Nabokov. Nous sommes
près de la fin. Le narrateur a reçu un télégramme lui annonçant que Sebastian
Knight est sur le point de mourir. Il s’est précipité dans un train pour se rendre sur place, à la campagne.
Extrait : « Parmi les nuages beige, il y en avait un couleur chair,
et, dans le solitude tragique des champs dénudés, les plaques de neige en dégel
se coloraient d’un rose mat. Une route surgit et glissa durant une minute le
long du train, et juste avant qu’elle ne disparût à un tournant, on vit un
homme à bicyclette y zigzaguer parmi la neige et la fange et les flaques. Où
allait-il ? Qui était-il ? Personne ne le saura jamais. »
— Et ?
— Quand je tombe sur un passage
comme celui-ci, j’imagine Nabokov peaufinant sa description sur l’une de ses
fameuses fiches jusqu’à obtenir la clarté et la précision souhaitée. Je précise
que ce trajet en train est présenté par le narrateur comme particulièrement
pénible, le wagon est bondé, les voyageurs sentent mauvais et il craint
d’arriver trop tard à destination.
— Et si nous instaurions un
nouveau rituel. Tu me lirais de temps en temps un passage que tu as
particulièrement apprécié.
— Validé.
lundi 16 juin 2025
L’ALGORITHME
Sur mon téléphone
le moteur de recherche
me proposait divers liens
beaucoup d’entre eux
traitaient de sujets qui
m’intéressent
plus ou moins
les consulter devenait une
(mauvaise) habitude
l’algorithme m’avait piégé
j’étais enfermé dans sa boucle
l’addiction abrutissante me
guettait
mais soudain
sans raison apparente
cela a changé
je me retrouve maintenant
avec des liens
qui ne me donnent pas du tout
envie
de cliquer pour en savoir plus
ce qui libère du temps
pour finir de lire
La vraie vie de Sebastian Knight
jeudi 12 juin 2025
Avec Nabokov
Je me souviens avoir commencé par
Lolita sur les conseils d’une fille à
qui je venais de raconter le scénario de ma bande dessinée. J’avais 24 ans, des
projets grandioses, et je travaillais comme veilleur de nuit dans un hôtel pour
payer les pâtes et les cigarettes. Le roman de Nabokov m’avait aidé à tenir
jusqu’au bout de la nuit derrière mon bureau de la réception. J’attendais ce
moment. Et puis il y eut la période Ada
ou l’ardeur qui fut assez longue (le roman est épais et je lis lentement).
J’ai le souvenir d’une narration virtuose d’une liberté folle dans laquelle j’aimais
me perdre. En ce moment, je lis avec un grand plaisir La vraie vie de Sebastian Knight, son premier roman en anglais. Le
récit est une mise en abîme de la situation de Nabokov en tant qu’écrivain au
moment de l’écriture du livre. En gros, le narrateur veut écrire sur Sebastian
Knight, son demi-frère qu’il a peu connu et dont il admire les romans. Nabokov
se plait à mettre en place une machinerie sophistiquée avec extraits des œuvres,
témoignages contradictoires de ceux qui l’ont connu, critique d’une biographie
médiocre et enquête sur les lieux où a vécu le sujet des recherches. C’est
élégant, drôle, brillant, et d’une grande beauté.