G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur

jeudi 10 avril 2025

Le plus important

Bill Térébenthine


Extrait d’un entretien avec Timothy Snyder publié dans la revue Sciences humaines :

"Question : Au début de la première présidence Trump, dans De la tyrannie, vous listiez vingt enseignements que nous lègue le passé pour lutter contre l’avènement d’un régime autoritaire. Lequel vous semble plus important à l’heure actuelle ?

Réponse : Le plus important est le suivant : n’obéissez pas à l’avance. Vous ne pouvez pas résister si vous vous conformez à ce que les autres font attendent de vous sans avoir pris la peine de forger votre propre définition de ce qui est normal et moral. Vous allez vous engager dans cette direction, puis vous justifier de le faire, et là c’est la fin." 

A la limite, dans le but de garder clairement à l’esprit le conseil de Snyder, on peut s’en tenir à une formule simple et concise : « N’obéissez pas ». 



 

mercredi 9 avril 2025

Humour noir

 

A la fin du fort bien titré Derrière les lignes ennemies, dans un dernier entretien de 1993, après avoir expliqué que la mort de Gérard Lebovici l’avait « chagriné », Manchette reconnait avoir été également inconsolable d’avoir « raté » Robert Bresson qu’il a failli écraser alors que le cinéaste traversait le boulevard Henri-IV avec une baguette sous le bras. « Je ne l’ai pas tué parce que je ne l’avais pas reconnu. On me doit les six derniers films de Bresson. » L’entretien, qui se tient dans un hôpital psychiatrique, se termine par cette phrase qui « se comprend de soi-même » : « Je préfère être fou comme je suis que normal comme Pasqua. » (On pourra remplacer le nom de cette canaille par n’importe quel malade au pouvoir qui occupe notre palpitante actualité).


mardi 8 avril 2025

1975 again

 

En parcourant le numéro d’avril 75 de Rock & Folk je me dis que l’âge d’or était terminé. C’était le creux de la vague. Rien d’excitant n’apparaissait plus à l’horizon. Beaucoup de choses boursouflées, surestimées, frappées d’obsolescence dès leur sortie (du genre Genesis et Yes). Les articles ne retiennent pas mon attention ; je file à la rubrique « Disques ». En ouverture, Physical Graffiti de Led Zeppelin se fait hacher menu par Manœuvre. Cela tombe bien : je n’ai jamais réussi à l’apprécier. Le groupe se résume pour moi à leur chef d’œuvre Led Zeppelin IV. Rock’n’Roll de John Lennon. Celui-là je l’ai écouté à sa sortie grâce à mon beauf, un vieux rocker qui voulait m’initier à la musique de sa jeunesse, celle des « pionniers ». Et j’ai adoré. Be-bop-a-lula, Stand By Me, Peggy Sue. Les reprises de John dégagent une joie communicative. A mon humble avis, il n’y a rien de tel que ce bon vieux rock des années 50 pour se remettre d’aplomb. D’ailleurs, je vais me le mettre pendant que je poursuis ma lecture. Je pousse le son. Qu’est-ce que ça fait du bien ! La bourse peut bien s’écrouler. Let’s rock again ! Je reprends. Mahavishnu, Van Der Graaf Generator, Tangerine Dream : beurk. A la poubelle, les déchets prétentieux. Tiens ! La BO de The Harder They Come. On découvrira cette merveille un ou deux ans plus tard. Idem pour l’album Natty Dread en « Import Givaudan ».


lundi 7 avril 2025

LE PEUPLE A TOUJOURS RAISON

 

Il faut réintroduire les pesticides

tueurs d’abeilles

au nom de la liberté

c’est bon pour

la maladie de Parkinson

il faut aussi

s’en prendre aux juges

au nom de la démocratie

pas de doute là-dessus

c’est le bon combat

d’ailleurs le peuple

qui a toujours raison

ne s’y est pas trompé

il vote massivement

pour les tronçonneurs

d’aides publiques

même lorsqu’ils en touchent

contre le financement public

des écoles et des hôpitaux

pour la suppression

des normes environnementales

pour le droit de manger

de la nourriture empoisonnée

ils choisissant de mettre au pouvoir

 des milliardaires chargés

de sabrer dans les dépenses publiques

et d’alléger les impôts

des grandes fortunes

vive le peuple

samedi 5 avril 2025

Information de première importance

J’apprends, en lisant un article consacré au groupe The Band dans le magazine Rolling Stone, que Dylan avait rappelé Robbie Robertson pour jouer sur Rough and Rowdy Ways. Celui-ci avait décliné l’invitation pour cause de planning trop chargé. Il avait évoqué dans sa réponse une collaboration possible, plus tard, en une autre occasion (ce qui ne se produira pas, le guitariste étant décédé en 2023). C’est regrettable. Son jeu subtil aurait très probablement enrichi les arrangements sur cet album grave et imposant sorti il y a cinq ans.

 

vendredi 4 avril 2025

C'était mieux avant


 Le soleil était à la verticale

Il n’y avait personne dans les rues

Le mouvement était aboli

Rien ne changeait

Et rien ne changerait plus

 

C’était mieux

avant

 

Plus calme

Plus assoupi

Presque immobile

 

Attendant sagement

le moment d’être figé

sur une image

de carte postale

avec un ciel bleu

électrique

et des petites voitures

de collection

de la marque Dinky Toys


Image : https://www.tumblr.com/retrogeographie

 


jeudi 3 avril 2025

L'autre côté

Photographie : Amanda Lopez

Je me suis demandé si la vision binaire de l’Amérique n’était pas un peu manichéenne. En lisant un article du Monde consacré à une exposition de photographie qui se tient à Amsterdam, je me suis dit que non. La photographie d’Amanda Lopez intitulée Homegirls, San Francisco (1982) m’avait tapé dans l’œil tout comme le titre « L’Amérique que Trump ne veut pas voir ». L’exposition intitulée American Photography s’ouvre, nous dit Michel Guerrin, sur une opposition entre d’un côté des couvertures en couleur de magazines des années 50/60 (« pin-up souriante, cosmétique, voiture, mode, sport, loisir, électroménager, jardinage ») et de l’autre la série en noir et blanc Les Américains de Robert Frank. C’est le côté des losers, des marginaux et des paumés, le côté sauvage (the wild side) de l’Amérique, là où se situent souvent ceux qui nous ont fascinés. 


 

mercredi 2 avril 2025

Un peu d'histoire

 

Jasper Johns

J’ai passé une partie de la matinée à massacrer des fourmis qui avaient commencé une invasion du côté de la salle de bain. Pendant que je balançais des coups de tatane sur le carrelage, je pensais, allez savoir pourquoi, à l’équipe installée au pouvoir par les électeurs américains. Je me disais que ce n’était pas surprenant. Il suffit de regarder un peu l’histoire de ce pays. Génocide des indiens, esclavage et ségrégation, assassinats politiques (Kennedy, Luther King, Malcolm X...). L’Amérique revient à ses fondamentaux : violence, rapport de force, capitalisme sans masque humaniste. Divers phénomènes culturels nous avaient fait perdre de vue la véritable nature des USA. Les artistes, les écrivains, les cinéastes que nous aimons ne touchent qu’une infime minorité dans leur pays. Ce qui se passe en ce moment (et qui pourrait s’installer durablement) n’est qu’un rappel, certes un peu brutal, à la réalité.


mardi 1 avril 2025

Grand écrivain

Jim Thompson n’est pas seulement un auteur de la Série Noire. C’est également un écrivain punk avant l’heure et qui pousse très loin dans l’assaut contre les valeurs de la société de son temps - qui sont également les nôtres puisque rien n’a fondamentalement changé depuis les années cinquante. Heureusement que les censeurs de tous poils ne mettent pas leur nez dans ses romans. Mais il ne faut pas croire que Thompson se contente d’accumuler les provocations. C’est également un excellent scénariste ménageant des zones d’ombres, des surprises et des coups de théâtre autour des diverses morts violentes qui parsèment ses intrigues, dans la grande tradition du roman noir américain (ça, on garde).