 |
| Bill Térébenthine |
— Que t’arrive-t-il, Bill ?
— Rien. Au sens strict du terme.
— Peux-tu développer au sujet de ce
rien ?
— Je n’ai plus de goût à peindre
et à dessiner.
— Ah merde. Et comment tu l’expliques ?
— C’est assez simple. Depuis une
dizaine d’années, mes réalisations consistaient pour l’essentiel en dessins d’observation
et en peintures d’après des photos prises durant des promenades. C’est-à-dire
que je pratiquais un art d’imitation.
— Et ?
— Et il se passe que je ne peux
plus me mettre au travail pour continuer dans cette voie depuis que j’ai lu ce
que disait Hegel de l’imitation envisagée comme le but de l’art.
— Il en disait quoi, Hegel ?
— Pour lui, l’art n’a pas pour
fonction de reproduire du mieux qu’il peut le monde extérieur. Selon ses termes
tels qu’ils ont été rapportés par ceux qui suivaient ses cours, il s’agit d’un
travail superflu. Je vais retrouver le passage. Il parle d’un « jeu
présomptueux, qui reste bien en deçà de la nature ».
— Il y va fort, là. Mais ne
dit-on pas que dans l’Antiquité on admirait l’illusionnisme de Zeuxis dont les raisins
trompaient même les oiseaux ?
— Bien sûr. Hegel en parle. Ecoute
ça. « Au lieu de louer des œuvres d’art parce que des pigeons ou des
singes s’y sont laissés tromper, il faudrait plutôt blâmer ceux qui croient
avoir porté bien haut l’art, alors qu’ils ne savent lui donner comme fin suprême
qu’une fin si médiocre. »
— Je vois pourquoi Hegel a semé
le doute. Et tu vas faire quoi maintenant ?
— Rien. Je gribouille sur des
bouts de papier en attendant de voir ce qui va sortir.
— Veinard. C’est le meilleur
moment.