G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur: juin 2025

lundi 23 juin 2025

Citations de la semaine

Bill Térébenthine

 Entendu en passant devant un poste radio : « Il y a une allergie du nationalisme à la façon dont l’exercice de l’intelligence peut le contester. » Lu dans un vieux manuel de méditation chinois, cette citation de Lao Tseu : « Celui qui parle au nom de la vertu ne la possède surement pas. » Et puis cette réplique de Hank dans Women : « Je ne peux pas arrêter d’écrire. C’est une forme de folie. »

samedi 21 juin 2025

(Love Is Like a) Heat Wave

 

Bill Térébenthine

27° à 11 heures. Ce n’est pas désagréable. On peut s’échouer en toute légalité sur le patio et lire du Bukowski à l’ombre. Autour, la ville est silencieuse. Le trafic routier semble ralenti. Personne ne se balade dans la rue en parlant fort ou en riant aux éclats. L’activité humaine est ralentie. Comme quoi c’est possible. J’ai essayé de lire des trucs sur la guerre mais ça ne m’a pas accroché et je suis revenu à Women en me disant que cette maison avait un côté californien (sans la piscine). Cela va bientôt faire un an que nous sommes là et c’est le temps qu’il aura fallu pour commencer à s’y sentir bien. L’environnement de la maison précédente était tellement laid et agressif qu’il a fallu tout ce temps pour se détendre et baisser la garde. Quand tout va bien, je me demande d’où et quand vont venir les ennuis.

vendredi 20 juin 2025

Piano


 Alfred Brendel est mort le 17 juin. Je lis la nécro. Quand il était petit garçon, nous dit-on, il entendait Hitler et Goebbels à la radio. « Cela m’a formé définitivement, avait-il confié au journal le Monde en 1993. Je me méfie de tous ceux qui croient détenir la vérité. » Et aussi ceci, qui nous rend le grand pianiste éminemment sympathique : « Tout chauvinisme me fait horreur. Je suis ravi d’avoir vécu comme j’ai vécu : sans patrie. » Pour en revenir à l'essentiel, je note ceci qui décrit parfaitement l’effet que produisent sur moi ses enregistrements : « J’ai toujours joué les œuvres avec lesquelles j’avais l’impression que l’on pouvait passer une vie. Celles qui émettent sans cesse une nouvelle énergie. Qui vous rajeunissent. » Une crème antirides pour l'âme. 

jeudi 19 juin 2025

PROMENADE

 

Nous marchons le long de la plage

tout est comme dans un film de bord de mer

la mer bleue scintille sous un soleil éclatant

les filles en maillot de bain sont jolies

les promeneurs âgés ont l’air de friqués

et tout là-haut sur la falaise

on peut voir d’immenses villas modernistes

comme des bunkers dominant la mer

cette société est entièrement organisée

autour des ultra-riches

pour qu’ils fassent fructifier le mieux possible

leur capital

et que les autres

ceux qui les enrichissent

acceptent docilement cette situation

outrageusement inégalitaire

solidement installée

qui perdurera probablement

jusqu’à la fin

mercredi 18 juin 2025

Sur Nabokov

 


A la fin d’un article consacré à Nabokov, Martin Amis écrit : « L’essence nabokovienne est d’une instabilité miraculeusement fertile : sans crier gare, les mots se détachent du quotidien et s’élancent comme des fusées dans un ciel nocturne, illuminant des verstes* cachées de désir et de terreur. * Il s’agit d’une unité de distance ancienne utilisée notamment en Russie.

Pour illustrer son propos, Amis cite un passage de Lolita qui se passe de commentaires. « Nous  connûmes les divers types de revendeur de voiture, le criminel réformé, le professeur à la retraite et l’entrepreneur qui rate tout, chez les hommes ; et, chez les femmes, la maternelle, celle qui joue à la grande dame et toutes les variations de matrones. Parfois, les trains hurlaient dans la nuit monstrueusement chaude et humide avec un écho déchirant et sinistre, mélangeant pouvoir et hystérie dans un cri désespéré. »

mardi 17 juin 2025

Dialogue

 

— La manière que tu as de te précipiter dans ton fauteuil dès que tu en as l’occasion pour te plonger dans ton livre a quelque chose de désobligeant.

— Les discours qui prétendent encourager la lecture sont des faux semblants. Les lecteurs ont toujours dû se cacher pour s’adonner à leur plaisir.

 — Pourrais-tu me dire ce qu’il y a de si captivant dans ce que tu lis en ce moment ?

— Je ne suis pas critique littéraire mais je peux te lire un passage de ce roman de Nabokov. Nous sommes près de la fin. Le narrateur a reçu un télégramme lui annonçant que Sebastian Knight est sur le point de mourir. Il s’est précipité dans un train pour se rendre sur place, à la campagne. Extrait : « Parmi les nuages beige, il y en avait un couleur chair, et, dans le solitude tragique des champs dénudés, les plaques de neige en dégel se coloraient d’un rose mat. Une route surgit et glissa durant une minute le long du train, et juste avant qu’elle ne disparût à un tournant, on vit un homme à bicyclette y zigzaguer parmi la neige et la fange et les flaques. Où allait-il ? Qui était-il ? Personne ne le saura jamais. »

— Et ?

— Quand je tombe sur un passage comme celui-ci, j’imagine Nabokov peaufinant sa description sur l’une de ses fameuses fiches jusqu’à obtenir la clarté et la précision souhaitée. Je précise que ce trajet en train est présenté par le narrateur comme particulièrement pénible, le wagon est bondé, les voyageurs sentent mauvais et il craint d’arriver trop tard à destination.

— Et si nous instaurions un nouveau rituel. Tu me lirais de temps en temps un passage que tu as particulièrement apprécié.

— Validé.

lundi 16 juin 2025

L’ALGORITHME

 

Sur mon téléphone

le moteur de recherche

me proposait divers liens

beaucoup d’entre eux

traitaient de sujets qui m’intéressent

plus ou moins

les consulter devenait une (mauvaise) habitude

l’algorithme m’avait piégé

j’étais enfermé dans sa boucle

l’addiction abrutissante me guettait

mais soudain

sans raison apparente

cela a changé

je me retrouve maintenant

avec des liens

qui ne me donnent pas du tout envie

de cliquer pour en savoir plus

ce qui libère du temps

pour finir de lire

La vraie vie de Sebastian Knight

samedi 14 juin 2025

Reportage


Lecture intéressante d’un article de Martin Amis paru en 2016 qu’on peut trouver dans un recueil intitulé  La Friction du temps. Dans ce reportage consacré à la campagne électorale menée par celui qui venait de remporter la primaire républicaine et allait accéder à la présidence pour un premier mandat, Amis envisage le cas sous l’angle de la maladie mentale. Il se base principalement, pour établir son diagnostic, sur la lecture des livres signés par le candidat. Après avoir décrit la manière dont l’agent immobilier s’y prenait pour racheter des logements à bas prix, il écrit : « Trump a le nez pour renifler les corps plus assez forts ni agiles pour éviter la prédation. Il a usé de la même tactique avec l’usine à gaz qu’est devenu le Grand Old Party, dont les salariés ne l’ont pas vu venir alors qu’il s’infiltrait parmi eux, et dont aujourd’hui il chevauche les ruines. La question est : peut-il faire la même chose avec la démocratie américaine ? » Vu du point temporel où nous nous situons, nous sommes en mesure de répondre par l’affirmative. 

jeudi 12 juin 2025

PUBLICATION


 STOP !Le dernier numéro tout nouveau tout frais du magazine du GFIV vient d'être mis en ligne. 20 pages d'art et de littérature pat Jane Sweet, Bill Térébenthine et votre cher Joe. Pour recevoir ce précieux cadeau chez vous il vous suffit de cliquer sur ce lien. Comme par magie, ce numéro apparaitra sur l'écran de votre ordinateur ou de votre téléphone.  

Avec Nabokov

 

Je me souviens avoir commencé par Lolita sur les conseils d’une fille à qui je venais de raconter le scénario de ma bande dessinée. J’avais 24 ans, des projets grandioses, et je travaillais comme veilleur de nuit dans un hôtel pour payer les pâtes et les cigarettes. Le roman de Nabokov m’avait aidé à tenir jusqu’au bout de la nuit derrière mon bureau de la réception. J’attendais ce moment. Et puis il y eut la période Ada ou l’ardeur qui fut assez longue (le roman est épais et je lis lentement). J’ai le souvenir d’une narration virtuose d’une liberté folle dans laquelle j’aimais me perdre. En ce moment, je lis avec un grand plaisir La vraie vie de Sebastian Knight, son premier roman en anglais. Le récit est une mise en abîme de la situation de Nabokov en tant qu’écrivain au moment de l’écriture du livre. En gros, le narrateur veut écrire sur Sebastian Knight, son demi-frère qu’il a peu connu et dont il admire les romans. Nabokov se plait à mettre en place une machinerie sophistiquée avec extraits des œuvres, témoignages contradictoires de ceux qui l’ont connu, critique d’une biographie médiocre et enquête sur les lieux où a vécu le sujet des recherches. C’est élégant, drôle, brillant, et d’une grande beauté. 

mercredi 11 juin 2025

L'éternel retour


Ce matin, après avoir lu un poème de Carver où il était question d’une araignée, j’ai repensé à celle qui apparaît régulièrement dans mon évier depuis quelques semaines. Je l’évacue à chaque fois en faisant couler de l’eau et finit toujours par réapparaitre après quelques jours. Elle doit s’arrêter au niveau du siphon puis remonter. Mais je n’ai pas envie de penser aux tuyaux d’évacuation. Je préfère la considérer comme une apparition, ce qu’elle est lorsque je la découvre immobile à côté de la cuvette. Je pourrais l’extraire et la libérer dans le jardin. Quelques verres d’eau et, prise dans un petit tourbillon, elle glisse en douceur dans les canalisations. Je l’ai revue hier en rentrant des courses. Elle est intacte. Les séjours dans les profondeurs ne semblent pas lui nuire. J’ai l’impression qu’un début de complicité s’installe entre nous. Ce n’est pas plus absurde que de devenir ami avec une IA.


mardi 10 juin 2025

Addiction

 

C’est plus fort que moi ; je finis toujours pas en reprendre une dose. Et à chaque fois, je me demande comment j’ai pu oublier à quel point ce truc pouvait me faire du bien. Je veux parler du blues. Pas le blues moderne joué par des blancs qui font étalage de leur dextérité sur le manche d’une guitare. Le blues, le vrai. Celui du début du vingtième siècle ; le Delta Blues, le blues électrique de Chicago, avec des prolongements qui vont jusque dans les années 60/70, rarement au-delà de manière convaincante. Au moment où j’écris ces lignes, je me soigne consciencieusement avec une compilation concoctée avec amour par Bill Térébenthine (qui a dessiné la pochette).


lundi 9 juin 2025

Dialogue


 

— Et les séries ?

— J’en regarde très rarement. Entre zéro et une par an.

— Tu t’en souviens ?

— La première saison de True Detective, Twin Peaks en commençant par The Return et, sur les conseils d’un contact à l’époque où j’étais sur Facebook, The White Lotus. Il y en a eu d’autres mais j’ai tout oublié.

— C’est le problème avec les séries. Grosse manipulation émotionnelle dont il ne reste rien. Et la dernière que tu as vue ?

— La troisième saison de The White Lotus, justement. J’avais entendu à la radio les critiques en parler de manière blasée, pas de surprises, rien de nouveaux, etc. Moi, j’ai bien marché. Il y a le thème du bouddhisme (ça se passe en Thaïlande), un bouddhisme pour touristes occidentaux friqués. L’intérêt, c’est que l’écriture du scénario, la typologie des personnages et leur évolution pendant leur séjour dans le club de vacances s’inspire des principes bouddhistes. Même si le procédé est artificiel, cela donne une sorte de profondeur à des gens qui ne présentent aucun intérêt en tant que stéréotypes (un homme d’affaires en burn out, une bourgeoise coincée, des copines d’âge mûr venue se défouler, un dragueur, masculiniste, une jeune idéaliste attirée par le monastère, etc.). Et gare à ceux qui ont un mauvais karma !

— Eh bien ! Présenté ainsi, ça donne presque envie.   

 

samedi 7 juin 2025

LES ZONES OBSCURES

 

Je suis passé à côté

De Nicole Croisille

Et de Lelouch

Je crois que c’est grâce à

Chabada que Pierre Barouh

A pu créer sa maison de disques

Ce n’est pas certain

Il y a des pans entiers

De la réalité

Qui restent obscurs

On pourrait passer le reste

De sa vie

A effectuer des recherches

Sans en faire le tour

Ce n’est pas une raison

Pour ne pas en parler

vendredi 6 juin 2025

Revue de presse

 

Pierre Clémenti et Bulle Ogier dans Les Idoles

Le Monde titrait sur une « bombe sanitaire ». Le cadmium est un cancérigène certain pour l’homme. Il est diffusé dans les sols par des engrais et est présent à des doses importantes dans les aliments les plus consommés (pain, céréales de petit déjeuner, pommes de terre...). Les médecins sonnent l’alarme sans effet pour le moment. Les dégâts sont pourtant considérables, notamment sur les enfants (très forte hausse de cancer du pancréas chez les très jeunes). La solution ? Obtenir que le gouvernement trouve le temps s’en occuper et accepte de  légiférer. En pleine période de recul sur les normes écologiques, ce n’est pas le meilleur moment. En attendant, les petits déjeuners avec céréales à gogo pour les enfants sont déconseillés. Consommer du bio permettrait de limiter les risques mais la filière a été marginalisée, comme le souhaitait la FNSEA. Dans le supplément Livres, nous retenons la parution des entretiens avec Marc’O (98 ans) aux éditions Allia. Sur le site del’éditeur, on peut lire ceci : « Au fil d’innombrables rencontres (Boris Vian, André Breton, Guy Debord, Jean Eustache, Jacques Lacan, Jean-Luc Godard...), L’Art d’en sortir nous immerge dans l’effervescence d’une époque éprise d’art et de révolution, qui voulait abolir toutes les frontières : la théorie et la pratique, la scène et le public. » Ne l’oublions pas.


jeudi 5 juin 2025

Lecture

Jules Barbey d'Aurevilly

Dans la première nouvelle des Diabolique, un narrateur se souvient d’une jeune fille qu’il avait rencontrée chez des gens qui lui louaient une chambre. Ils la lui présentèrent comme leur fille. Plus que sa beauté, ce qui frappa fortement le jeune homme de 17 ans à l’époque fut « l’air qu’elle avait » (c’est moi qui souligne). « Une espèce d’air impassible, très difficile à caractériser. » Cet air « qui la séparait non pas seulement de ses parents, mais de tous les autres, dont elle semblait n’avoir ni les passions, ni les sentiments, vous clouait... de surprise... sur place. » Cet air « n’était ni fier, ni méprisant, ni dédaigneux, non ! mais tout simplement impassible, car l’air fier, méprisant, dédaigneux, dit aux gens qu’ils existent, puisqu’on prend la peine de les dédaigner ou de les mépriser, tandis que cet air-ci dit tranquillement : « Pour moi, vous n’existez même pas. »

 

 

mercredi 4 juin 2025

Le capitaine est en colère


 Quelques suggestions pour compléter la liste des jurons du capitaine Haddock. « Maître à penser, nihiliste, pseudo-philosophe, pape, mentor, magnétiseur, pantin sanglant, fanatique de lui-même, diable, éminence grise, âme damnée, professeur ès radicalisme, gourou, révolutionnaire de bazar, Méphisto de pacotille, extravagant, fumeux, mauvais ange, idéologue, sadique fou, cynique total, lie de la non-pensée, enragé, envouteur, et pire que tout : théoricien... » Extrait du relevé des termes utilisés dans la presse à son sujet effectué par Guy Debord (Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici).  

 

mardi 3 juin 2025

Sensations fortes

 

Dans la série « Découvrons les vieux livres qui trainent dans la bibliothèque », aujourd’hui : Les Diaboliques de Jules Barbey d'Aurevilly. Après avoir contemplé l’illustration de couverture (le nom de l’artiste n’apparait pas), commencer par enfoncer son nez entre les pages du livre entrouvert. Le parfum qui vous assaille est lourd, puissant. Il faut faire un effort pour s’en arracher tant sa force d’attraction semble vous entrainer vers des passés lointains. Les pages jaunies sont à manipuler avec une infinie précaution. L’une d’entre elles s’est déjà détachée. Cette fragilité et l’attention qu’elle implique donnent aux séances de lecture l’aspect d’un rituel secret parfaitement adapté à cet écrivain. Julien Gracq rappelle dans sa préface la haute personnalité du dandy. Il prévient le lecteur qui doit se laisser emporter par ce conteur à forte personnalité dont le style chevaleresque imprègne chacune des nouvelles qui composent le livre.   


lundi 2 juin 2025

PROMENADE DU SAMEDI

trottoirs

rues

et parc

absolument déserts

ah mais oui

c’est aujourd’hui

le match de foot

qui passionne

tout le monde

parait-il

même ceux qui n’en a rien à foutre

ne peuvent l’ignorer

retour du parc en passant

par une place du centre

du monde en terrasse

match retransmis « sur trois écrans »

quelques beuglements avinés

quelques feux d’artifice

un peu plus tard

du côté des quais

on a gagné et

j’en ai toujours

rien à foutre


SATURDAY WALK

 

sidewalks

streets

and park

absolutely deserted

oh but yes

it's today

the football match

which excites

everyone

apparently

even those who don't give a damn

cannot ignore it

returning from the park by the way

by a central square

people on the terrace

match broadcast “on three screens”

some drunken bellows

some fireworks

on the quayside

a little later

we won and

I still have some

I don't give a damn