G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur

samedi 30 août 2025

Jésus et Lao-Tseu

 


Tandis que Hanta s'active sur sa presse mécanique, il découvre que Jésus et Lao-Tseu l'observe depuis un coin de sa cour envahie par les livre. "J'aperçus la réalité sanglante des symboles et des chiffres de Jésus, tandis que Lao-Tseu, enveloppé d'un suaire, montrait du doigt une poutre mal équarrie ; Jésus, je le vis en play-boy, Lao-Tseu en vieux garçon lâché par ses glandes, Jésus, d'une main impérieuse et d'un geste puissant, maudissait ses ennemis, Lao-Tseu  avait baissé les bras avec résignation, je vis Jésus en romantique, Lao-Tseu en classique, Jésus était le flux, Lao-Tseu le reflux, Jésus le printemps, Lao-Tseu l'hiver, Jésus l'amour efficace du prochain, Lao-Tseu le summum du vide, Jésus comme progressus ad futurum, Lao-Tseu regressus ad originem..."

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude

vendredi 29 août 2025

Comme un torrent


 Je viens de terminer la lecture du roman de Bohumil Hrabal Une trop bruyante solitude qui m’a laissé un peu sonné. On peut dire que c’est une lecture d’homme, du corsé qui vous arrache à votre confort habituel de lecteur pour vous entrainer sans une seule pause dans un puissant torrent verbal, un monologue exalté, plus ou moins halluciné, qui se poursuit sans faiblir jusqu'au point final. La prose de Bohumil Hrabal brasse très large, des égouts souterrains au ciel étoilé de Kant. On n’oubliera pas rapidement Hanta et sa presse mécanique, les tonnes de livres au milieu desquels il vit et travaille, les ouvrages qu’il sauve du pilon, les deux petites tziganes emmenées par les nazis et le reste. Quand j'écris, j’interromps rapidement. En plus, j’efface beaucoup. C’est pourquoi, probablement, j’ai aimé plonger et me laisser prendre par ce courant qui ne connait jamais de baisse de régime.


jeudi 28 août 2025

Vieux livres


 En prenant un livre un peu jauni, je me suis demandé ce que deviendraient les livres de la bibliothèque. Certains finiront–ils dans les caisses ou sur l’étalage d’un bouquiniste (si cela existe encore) ? Il y en a un qui a sa boutique un peu plus loin dans la rue. Lorsque je passe devant, j’aime bien regarder sa vitrine. Il n’est pas rare d’y voir des livres qui se trouvent dans ma bibliothèque. L’homme a bon goût, ce qui veut dire à peu près les miens. Le plaisir que je prends à regarder les couvertures est parfois refroidi lorsque je songe à leur provenance. Leur propriétaire fait-il du vide chez lui ? Ou bien une veuve, un fils, se débarrassent ils de ces vieux papiers encombrants ? Je reprends souvent mon chemin un peu troublé et songeur.

mercredi 27 août 2025

Personnage secondaire


 On croise beaucoup de monde dans le Journal de Matthieu Galey. Un soir de 1957, à Vézelay, lors d'un spectacle son et lumière, un personnage encore peu connu... "Parmi nous, le ministre Mitterrand, qui est député du coin. Un beau brun, avec une lèvre lourde, sensuelle. Sa jeunesse d'allure tranche sur le officiels ventripotents qu'on rencontre d'ordinaire à ce genre de cérémonie." 

mardi 26 août 2025

Trouble de l'attention

Blind Willie McTell

 

Depuis que je suis diagnostiqué, je me documente un peu sur le TDAH chez les adultes. L’une des manifestations de ce fonctionnement particulier du cerveau est l’hyperfocalisation. Cela consiste à se passionner pour deux ou trois sujets au détriment du reste (organisation de la vie pratique, assurer de bonnes relations avec sa hiérarchie, planifier des voyages touristiques, s’intéresser à la vie politique). On pourra trouver dans le Carnet des traces de ces engouements excessifs qui vont de Dada au blues en passant par Dylan et les écrivains qui m’ont accompagné dans ce voyage hasardeux qui ne manquait pas de bonnes surprises. 


lundi 25 août 2025

Dans la cuisine


 

En traversant la cuisine où la radio était restée allumée, j’ai entendu un petit bout d’une émission où l’on parlait d’Adorno. Il était question de situations extraites de la vie ordinaire (fermer une fenêtre, claquer la porte d’un réfrigérateur…) qui illustraient, pour le philosophe, la manière dont l’environnement quotidien participe au développement de la vie mutilée. L’idée me plait bien : chercher les sources de l’aliénation dans des détails concrets, des agencements qui contraignent l’action dans une direction. On pourrait imaginer une réflexion actualisée en partant de l’idée que rien dans l’architecture, l’urbanisme, le design n’est conçu gratuitement, sans être relié à un projet de manipulation des individus pris dans des dispositifs de contrôle. On pourrait parler d’une forme de « complotisme éclairé », peut-être d'une théorie critique dans l’esprit de l’Ecole de Francfort dans une version actualisée.

samedi 23 août 2025

Lire aux toilettes


 de la glace pour les aigles


Je me rappelle sans cesse les chevaux

sous la lune

je me rappelle lorsque je donnais du sucre

comme de la glace,

et ils avaient des têtes comme

des têtes

chauves d'aigles qui auraient pu mordre mais

n'en faisaient rien


Les chevaux étaient plus réels que

mon père

plus réels que Dieu

et ils auraient pu m'écraser les

pieds mais ils n'en ont rien fait

ils auraient pu faire toutes sortes d'horreurs

mais ils n'en ont rien fait.


J'avais presque 5 ans

mais je n'ai pas oublié ;

Ô mon dieu ils étaient forts et bons

Leurs grands coups de langue rouge

et baveuse venus de l'âme.


Charles Bukowski, Les jours s'en vont comme des chevaux sauvages dans les collines


vendredi 22 août 2025

Vaché et Rigaut

 

« Au fond, les frères Jacques, Vaché et Rigaut, ont en commun la même fâcheuse tendance à ne pas croire sur parole les femmes et les hommes (André Breton s’y sera essayé, en vain, auprès des deux) qui saisissent la vie comme une évidence, croient la tenir dans leurs livres ou leur portefeuille, sont assuré, leurs gestes et leurs mots le répètent à l’envi, d’en posséder le sens, ils connaissent la même aversion pour la fatuité qui définit leur espèce, s’en trouvent désolés et incapables de concevoir un arrangement avec cette illusion qui leur échappe. »

Laurent Cirelli, Jacques Rigaut, portrait tiré


jeudi 21 août 2025

Révélation tardive


 

Il n’est jamais trop tard

pour savoir quelle est notre manière

particulière

d’être dingue

 

mon truc c’est le déficit de l’attention

le savoir plus tôt ne m’aurait pas beaucoup aidé

cela n’aurait pas empêché les profs de me demander

« Pouvez-vous répéter ce que je viens de dire ? »

ni les ex compagnes de piquer des colères

puis de disparaître à l'horizon

 

en revanche je sais maintenant pourquoi

que je n’avais aucune chance

de faire ce qu’on appelle une « carrière »


heureusement je suis officiellement

hors compétition

à l'abri derrière mon statut

de fonctionnaire retraité