G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur: avril 2025

mercredi 30 avril 2025

Transe


 Je n’ai jamais vraiment écouté avec attention la production discographique récente de Nick Cave. Surprise. J’ai vibré devant mon écran en regardant l’enregistrement de son concert parisien, présenté au début comme le dernier show de la tournée. On a l’impression que le chanteur, les Bad Seeds, les choristes et le public ne forment plus qu’une seule masse d’énergie qui décolle de plus en plus dans une sorte de transe collective parfaitement contrôlée par un Nick Cave à la fois professionnel et charismatique. Il faut ajouter enfin que c’est très bien filmé. (Disponible jusqu’à la fin du mois de mai sur la plateforme d’Arte) 

mardi 29 avril 2025

CE QUI A CHANGE

 

Bill Térébenthine


Les dingues

Qui parlent tout seul

Dans la rue

On ne les remarque plus

Tout le monde parle dans la rue

Thierry la Fronde et Josh Randall

Appartiennent au passé

Nous n’avons plus leurs panoplies

 

Beaucoup de choses

Que nous avons aimées

Ont été perdues, égarées, oubliées

On essaie de le cacher

Mais nous sommes un peu largués

Seule consolation

Les plus jeunes le sont

Au moins autant que nous


lundi 28 avril 2025

Prémonitoire


 En 1983, Baudrillard notait dans Les Statégies fatales : l’incrédulité « s’étend aujourd’hui à tout ce qui nous est livré par le canal des media et de l’information, voire par celui de la science ».  Comme on dit, ça résonne en 2025. Il ajoutait ceci, qui est encore plus actuel : « Nous enregistrons tout mais nous n’y croyons pas car nous sommes nous-même devenus des écrans, et qui peut demander à un écran de croire à ce qu’il enregistre ? » On se demande pourquoi Baudrillard n’est pas plus cité par les penseurs auto-proclamés du déchiffrement du monde ? Il est vrai que la plupart d’entre eux se sont repliés dans un silence prudent.

samedi 26 avril 2025

Retraduire


Le livre de Paul Cain est traduit par
 Jacques-Laurent Bost et Marcel Duhamel en personne. La version française est agréable à lire, épurée, efficace, précise. D’où la surprise en découvrant une erreur incompréhensible. A un moment, les personnages doivent attendre quelqu’un dans une chambre d’hôtel. Le héros fait un somme tandis qu’un comparse a trouvé un « livre comique » pour s’occuper. Ce qui ne veut pas dire grand-chose. Il s’agit plutôt d’une bande dessinée (comic book). Il y avait pourtant un indice un peu plus loin : le personnage dit au héros que sa lecture lui a plu et qu’il aurait adoré « dessiner des caricatures ». Cette faute justifierait à elle-seule que le roman fasse l’objet d’une nouvelle traduction. Ce serait l’occasion d’actualiser certains dialogues alourdis par un argot vieillot qui sonne étrangement « tontons flingueurs ».

vendredi 25 avril 2025

Une issue

 

François Angelier, l’homme de Mauvais genre, trouve le réel «  d'un ennui sombre, tragique, bloqué, totalement sans intérêt » et il a bien raison. Pour prendre un exemple au hasard, qu’y-a-t-il de plus borné et prévisible qu’un agent immobilier ? Bref, le réel nous gonfle sérieusement et le fait de le scénariser sur le modèle des mauvaises séries puis de le diffuser non-stop sous forme d’info-spectacle n’y change rien. Ce sera toujours « d'un ennui sombre, tragique, bloqué, totalement sans intérêt ». Heureusement, on peut lire des nouvelles de Maupassant tendance fantastique et se laisser entrainer du côté de cet « inconnu qui est derrière le mur, derrière la porte, derrière la vie apparente ».


jeudi 24 avril 2025

1975 (suite)


 Blood On The Tracks est unanimement considéré comme son meilleur album de la décennie. Il m’impressionnait beaucoup quand je l’écoutais dans ma chambre de lycéen. J’appréciais la musique, le chant habité, mais les thèmes abordés me passaient largement au-dessus. C’est quoi cette histoire de souffrance amoureuse ? Les vaines tentatives pour retenir celle qui s’éloigne en vous laissant « with a pain that stops and starts» (You’re A Big Girl Now), cela ne m’évoquait de précis. Maintenant, lorsque j’écoute ces chansons, je me laisse vaguement aller avec complaisance à revivre des ruptures passées, des déchirements sublimés par l’art du songwriter. 

mercredi 23 avril 2025

Rêvons un peu

A situation extrême, réactions un minimum à la hauteur. Par exemple, Dylan pourrait réintroduire dans sa liste de titres sur le Never Ending Tour, en ce moment dans l’Amérique trumpienne, quelques chansons qui pourraient résonner dans le contexte actuel, comme The Lonesome Death of Hattie Carroll, With God On Our Side et quelques autres protest songs du début des sixties. Il pourrait également reprendre quelques tubes de lutte signés Woodie Guthrie. Les jeunes fans de Timothée Chalamet adoreraient reprendre en chœur This Lans Is Your Land et We Shall Overcome. Surtout si Mamie Baez vient sur scène et que Bobby a collé sur sa guitare, en hommage à son héros de jeunesse, un autocollant « Cette machine tue les fascistes ». 

 

mardi 22 avril 2025

Ligne éditoriale


 « Je n’étudie que ce qui me plaît ; je n’occupe mon esprit que des idées qui m’intéressent. Elles seront utiles ou inutiles, soit à moi, soit aux autres. Le temps amènera ou n’amènera pas les circonstances qui me feront faire de mes acquisitions un emploi profitable. Dans tous les cas, j’aurai eu l’avantage inestimable de ne pas me contrarier, et d’avoir obéi à ma pensée et à mon caractère. » 

Chamfort

lundi 21 avril 2025

La chanson du lundi


Wild Mountain Thyme. Cette chanson folk a accompagné la semaine passée et ce n’est toujours pas terminé. Je l’ai beaucoup sifflée pendant les promenades et chantée en m’accompagnant au piano. Je l’avais entendue en écoutant une playlist « Joan Baez » ; la chanson me disait quelque chose, mais où l’avais-je entendue ? En cherchant un peu j’ai fini par la retrouver sur un album desByrds.

samedi 19 avril 2025

Lu


Sans craindre les anachronismes, on pourrait dire qu’il s’agit d’une sorte de road movie dont l’auteur déclare dès l’incipit qu’il ignore tout des deux personnages principaux, d’où ils viennent, où ils se dirigent et dans que but. Ce narrateur désinvolte intervient d’ailleurs tout au long de cet antiroman pour apostropher directement le lecteur. Les récits racontés par Jacques, son maître ou des personnages rencontrés dans des auberges sont souvent interrompus. Curieusement, ces interventions et ces interruptions narratives ne nuisent pas au plaisir de la lecture. Les autorités de l’époque (pouvoir royal et religieux) ont dû faiblement apprécier l’inversion des rapports de pouvoir entre Jacques et son maître tout comme le souffle de liberté qui traverse le roman.

vendredi 18 avril 2025

Série Noire


 « Lorsque Kells rangea sa voiture dans la quatrième Rue entre Broadway et Hill Street, les réverbères électriques et les enseignes lumineuses commençaient juste à s’allumer. Il entra dans l’immeuble qui faisait le coin, monta au troisième et longea le corridor jusqu’à une fenêtre donnant sur la Cinquième Avenue. Il resta quelques minutes devant la fenêtre à surveiller le va-et-vient sur le trottoir d’en face. Puis il retourna à la voiture. »

Si on me demandait ce que j’ai fait de ma semaine ? A part être assommé par une grippe (ou un covid grippal), j’ai commencé la lecture de A tombeau ouvert, un polar de Paul Cain cité par Manchette comme l’un de ses préférés parmi les classiques de la Série Noire. On comprend vite pourquoi. Le style purement « behavioriste » est ici utilisé avec une grande rigueur. On chercherait en vain la moindre notation psychologique, la moindre évocation des émotions ou de la vie intérieure des personnages. Et c’est très beau.

jeudi 17 avril 2025

Pendant ce temps


 j’ai attrapé un sale truc

avec le nez qui coule

de la fièvre

et envie de dormir

l’après-midi

ce que j’ai fait

j’ai écouté du blues

sur des cassettes

où j’enregistrais des vinyles

qui grattaient

du blues primitif

de prêcheur

hurlant à la lune

et des blues lubriques

chantés par des alcooliques

qui jouent de la guitare

comme le diable en personne

 

on ne m’a fait aucune remarque

on passe tout aux malades

 

samedi 12 avril 2025

Pause


En attendant la reprise, on peut toujours lire les deux Carnets disponibles sur le site des éditions du GFIV.

Extrait de Carnet 1, 2021 :

"Une journée parfaite n’est pas nécessairement une journée exceptionnelle pendant laquelle vous avez rencontré le grand amour et découvert une erreur de la banque en votre faveur. Non, la journée parfaite serait plutôt du côté de la journée banale, sans évènement marquant ni secousse majeure. Le génie de Lou Reed est d’avoir su évoquer le charme indéfinissable de ces moments sans importance (comme une promenade dans un parc en la compagnie d’une personne avec qui on se sent bien). Bien sûr, en dehors des poètes, personne n’a d’intérêt financier à promouvoir le charme de la banalité ordinaire. La manipulation économique du désir repose au contraire sur l’idée selon laquelle votre vie quotidienne n’a aucun intérêt et qu’il existe des expériences plus riches et plus intenses à vivre de l’autre côté du miroir de la société spectaculaire-marchande. C’est ainsi que ça fonctionne depuis les années 60 et il n’y a pas de raisons pour que cela change."  


Les fichier PDF sont téléchargeables ici  et pour le prix imbattable de 0 € ! 




vendredi 11 avril 2025

Un peu d'histoire

 

Le Monde des livres consacre quelques pages aux écrivains américains pris dans la tourmente néo-fasciste. Dans un texte consacré à la propagande trumpiste, l’écrivaine Siri Hustvedt cite un manuel théorique de Goebbles : « L’objectif n’est pas de présenter à l’homme ordinaire des théories aussi variées et contradictoires que possible. L’essence de la propagande ne réside pas dans la variété mais plutôt dans l’énergie et l’opiniâtreté avec lesquelles on assène aux masses une poignée d’idées soigneusement choisies en recourant aux méthodes les plus diverses. » On peut constater qu’il n’y a pas de progrès notable dans le domaine de la stratégie employée. En revanche, les « méthodes les plus diverses » ont considérablement gagné en puissance.


jeudi 10 avril 2025

Le plus important

Bill Térébenthine


Extrait d’un entretien avec Timothy Snyder publié dans la revue Sciences humaines :

"Question : Au début de la première présidence Trump, dans De la tyrannie, vous listiez vingt enseignements que nous lègue le passé pour lutter contre l’avènement d’un régime autoritaire. Lequel vous semble plus important à l’heure actuelle ?

Réponse : Le plus important est le suivant : n’obéissez pas à l’avance. Vous ne pouvez pas résister si vous vous conformez à ce que les autres font attendent de vous sans avoir pris la peine de forger votre propre définition de ce qui est normal et moral. Vous allez vous engager dans cette direction, puis vous justifier de le faire, et là c’est la fin." 

A la limite, dans le but de garder clairement à l’esprit le conseil de Snyder, on peut s’en tenir à une formule simple et concise : « N’obéissez pas ». 



 

mercredi 9 avril 2025

Humour noir

 

A la fin du fort bien titré Derrière les lignes ennemies, dans un dernier entretien de 1993, après avoir expliqué que la mort de Gérard Lebovici l’avait « chagriné », Manchette reconnait avoir été également inconsolable d’avoir « raté » Robert Bresson qu’il a failli écraser alors que le cinéaste traversait le boulevard Henri-IV avec une baguette sous le bras. « Je ne l’ai pas tué parce que je ne l’avais pas reconnu. On me doit les six derniers films de Bresson. » L’entretien, qui se tient dans un hôpital psychiatrique, se termine par cette phrase qui « se comprend de soi-même » : « Je préfère être fou comme je suis que normal comme Pasqua. » (On pourra remplacer le nom de cette canaille par n’importe quel malade au pouvoir qui occupe notre palpitante actualité).


mardi 8 avril 2025

1975 again

 

En parcourant le numéro d’avril 75 de Rock & Folk je me dis que l’âge d’or était terminé. C’était le creux de la vague. Rien d’excitant n’apparaissait plus à l’horizon. Beaucoup de choses boursouflées, surestimées, frappées d’obsolescence dès leur sortie (du genre Genesis et Yes). Les articles ne retiennent pas mon attention ; je file à la rubrique « Disques ». En ouverture, Physical Graffiti de Led Zeppelin se fait hacher menu par Manœuvre. Cela tombe bien : je n’ai jamais réussi à l’apprécier. Le groupe se résume pour moi à leur chef d’œuvre Led Zeppelin IV. Rock’n’Roll de John Lennon. Celui-là je l’ai écouté à sa sortie grâce à mon beauf, un vieux rocker qui voulait m’initier à la musique de sa jeunesse, celle des « pionniers ». Et j’ai adoré. Be-bop-a-lula, Stand By Me, Peggy Sue. Les reprises de John dégagent une joie communicative. A mon humble avis, il n’y a rien de tel que ce bon vieux rock des années 50 pour se remettre d’aplomb. D’ailleurs, je vais me le mettre pendant que je poursuis ma lecture. Je pousse le son. Qu’est-ce que ça fait du bien ! La bourse peut bien s’écrouler. Let’s rock again ! Je reprends. Mahavishnu, Van Der Graaf Generator, Tangerine Dream : beurk. A la poubelle, les déchets prétentieux. Tiens ! La BO de The Harder They Come. On découvrira cette merveille un ou deux ans plus tard. Idem pour l’album Natty Dread en « Import Givaudan ».


lundi 7 avril 2025

LE PEUPLE A TOUJOURS RAISON

 

Il faut réintroduire les pesticides

tueurs d’abeilles

au nom de la liberté

c’est bon pour

la maladie de Parkinson

il faut aussi

s’en prendre aux juges

au nom de la démocratie

pas de doute là-dessus

c’est le bon combat

d’ailleurs le peuple

qui a toujours raison

ne s’y est pas trompé

il vote massivement

pour les tronçonneurs

d’aides publiques

même lorsqu’ils en touchent

contre le financement public

des écoles et des hôpitaux

pour la suppression

des normes environnementales

pour le droit de manger

de la nourriture empoisonnée

ils choisissant de mettre au pouvoir

 des milliardaires chargés

de sabrer dans les dépenses publiques

et d’alléger les impôts

des grandes fortunes

vive le peuple

samedi 5 avril 2025

Information de première importance

J’apprends, en lisant un article consacré au groupe The Band dans le magazine Rolling Stone, que Dylan avait rappelé Robbie Robertson pour jouer sur Rough and Rowdy Ways. Celui-ci avait décliné l’invitation pour cause de planning trop chargé. Il avait évoqué dans sa réponse une collaboration possible, plus tard, en une autre occasion (ce qui ne se produira pas, le guitariste étant décédé en 2023). C’est regrettable. Son jeu subtil aurait très probablement enrichi les arrangements sur cet album grave et imposant sorti il y a cinq ans.

 

vendredi 4 avril 2025

C'était mieux avant


 Le soleil était à la verticale

Il n’y avait personne dans les rues

Le mouvement était aboli

Rien ne changeait

Et rien ne changerait plus

 

C’était mieux

avant

 

Plus calme

Plus assoupi

Presque immobile

 

Attendant sagement

le moment d’être figé

sur une image

de carte postale

avec un ciel bleu

électrique

et des petites voitures

de collection

de la marque Dinky Toys


Image : https://www.tumblr.com/retrogeographie

 


jeudi 3 avril 2025

L'autre côté

Photographie : Amanda Lopez

Je me suis demandé si la vision binaire de l’Amérique n’était pas un peu manichéenne. En lisant un article du Monde consacré à une exposition de photographie qui se tient à Amsterdam, je me suis dit que non. La photographie d’Amanda Lopez intitulée Homegirls, San Francisco (1982) m’avait tapé dans l’œil tout comme le titre « L’Amérique que Trump ne veut pas voir ». L’exposition intitulée American Photography s’ouvre, nous dit Michel Guerrin, sur une opposition entre d’un côté des couvertures en couleur de magazines des années 50/60 (« pin-up souriante, cosmétique, voiture, mode, sport, loisir, électroménager, jardinage ») et de l’autre la série en noir et blanc Les Américains de Robert Frank. C’est le côté des losers, des marginaux et des paumés, le côté sauvage (the wild side) de l’Amérique, là où se situent souvent ceux qui nous ont fascinés. 


 

mercredi 2 avril 2025

Un peu d'histoire

 

Jasper Johns

J’ai passé une partie de la matinée à massacrer des fourmis qui avaient commencé une invasion du côté de la salle de bain. Pendant que je balançais des coups de tatane sur le carrelage, je pensais, allez savoir pourquoi, à l’équipe installée au pouvoir par les électeurs américains. Je me disais que ce n’était pas surprenant. Il suffit de regarder un peu l’histoire de ce pays. Génocide des indiens, esclavage et ségrégation, assassinats politiques (Kennedy, Luther King, Malcolm X...). L’Amérique revient à ses fondamentaux : violence, rapport de force, capitalisme sans masque humaniste. Divers phénomènes culturels nous avaient fait perdre de vue la véritable nature des USA. Les artistes, les écrivains, les cinéastes que nous aimons ne touchent qu’une infime minorité dans leur pays. Ce qui se passe en ce moment (et qui pourrait s’installer durablement) n’est qu’un rappel, certes un peu brutal, à la réalité.


mardi 1 avril 2025

Grand écrivain

Jim Thompson n’est pas seulement un auteur de la Série Noire. C’est également un écrivain punk avant l’heure et qui pousse très loin dans l’assaut contre les valeurs de la société de son temps - qui sont également les nôtres puisque rien n’a fondamentalement changé depuis les années cinquante. Heureusement que les censeurs de tous poils ne mettent pas leur nez dans ses romans. Mais il ne faut pas croire que Thompson se contente d’accumuler les provocations. C’est également un excellent scénariste ménageant des zones d’ombres, des surprises et des coups de théâtre autour des diverses morts violentes qui parsèment ses intrigues, dans la grande tradition du roman noir américain (ça, on garde).