G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur

mercredi 2 avril 2025

Un peu d'histoire

 

Jasper Johns

J’ai passé une partie de la matinée à massacrer des fourmis qui avaient commencé une invasion du côté de la salle de bain. Pendant que je balançais des coups de tatane sur le carrelage, je pensais, allez savoir pourquoi, à l’équipe installée au pouvoir par les électeurs américains. Je me disais que ce n’était pas surprenant. Il suffit de regarder un peu l’histoire de ce pays. Génocide des indiens, esclavage et ségrégation, assassinats politiques (Kennedy, Luther King, Malcolm X...). L’Amérique revient à ses fondamentaux : violence, rapport de force, capitalisme sans masque humaniste. Divers phénomènes culturels nous avaient fait perdre de vue la véritable nature des USA. Les artistes, les écrivains, les cinéastes que nous aimons ne touchent qu’une infime minorité dans leur pays. Ce qui se passe en ce moment (et qui pourrait s’installer durablement) n’est qu’un rappel, certes un peu brutal, à la réalité.


mardi 1 avril 2025

Grand écrivain

Jim Thompson n’est pas seulement un auteur de la Série Noire. C’est également un écrivain punk avant l’heure et qui pousse très loin dans l’assaut contre les valeurs de la société de son temps - qui sont également les nôtres puisque rien n’a fondamentalement changé depuis les années cinquante. Heureusement que les censeurs de tous poils ne mettent pas leur nez dans ses romans. Mais il ne faut pas croire que Thompson se contente d’accumuler les provocations. C’est également un excellent scénariste ménageant des zones d’ombres, des surprises et des coups de théâtre autour des diverses morts violentes qui parsèment ses intrigues, dans la grande tradition du roman noir américain (ça, on garde).

 

 

lundi 31 mars 2025

L'art du portrait


 « Constance Wakefield... La quarantaine, un mètre soixante-dix ; dans les cinquante kilos.

Elle était tout en longueur ; longues jambes osseuses, longs poignets frêles, longues mains décharnées. Une de ces femmes tout d’une venue qui évoquent irrésistiblement le tuyau de poêle, sauf pour ce qui concerne la chaleur. Droite, distante. Myope et asthmatique.

Telle était Constance Wakefield.

Je ne l’ai pas encore cataloguée et je doute jamais y réussir. Je ne peux affirmer, de façon absolue, s’il s’agissait simplement d’une femme cupide et naïve ou, carrément, d’un maître chanteur. »

Et un peu plus loin :

« Elle portait deux paires de lunettes, l’une sur l’autre. Sous les verres, ses yeux exorbités ressemblaient à des huîtres nageant dans leur eau. »

Jim Thompson, Monsieur Zéro

Quelque part sur la toile, quelqu’un a écrit que ce roman était un chef-d’œuvre. Je ne suis pas loin de le penser.

samedi 29 mars 2025

Rues vides


 Dessin : Bill Térébenthine

Lu dans la presse locale : deux boutiques, une de vêtements féminins et l’autre de jouets, ferment dans le centre-ville. Les commerçants concernés font un constat amer : les rues autrefois pleines de monde sont aujourd’hui désertes. « Les gens restent chez eux », constate l’épouse du marchand de jouets. Le phénomène est relativement inexpliqué, personne ne s’est encore penché dessus pour en éclairer les causes. Dans les rues vides, le badaud, ce promeneur « curieux de tous les spectacles de la rue et qui s'attarde à les regarder »* va se faire de plus en plus rare. Il paraîtra suspect. Ne resteront que ceux qui n’ont pas le choix : les propriétaires de chiens (dont je suis). 

* Le Larousse


vendredi 28 mars 2025

Pause vitale


 Il y a des moments où l’on a envie de ne rien faire. Ce ne sont pas les plus désagréables. Trouver un coin à l’écart, une planque bien tranquille dans un endroit abandonné. Penser à amener de la lecture. Et là, à l’abri des regards, sans l’obligation d’écouter, de répondre quelque chose, de faire preuve d’esprit de temps à autre, sans aucune forme de contrainte extérieure, se reposer pour de bon. Ecouter les bruits de la rue, regarder par la fenêtre, avancer un peu dans un roman de la Série Noire. Puis, lorsque ces précieuses minutes ont fait leur effet, se lever pour retrouver les autres et s’éloigner en fredonnant une chanson des Kinks.

jeudi 27 mars 2025

Le temps intérieur


 Je ne me réfugie pas dans le passé. Premièrement, c’est impossible. Mais surtout, je n’ai rien à fuir. Je me tiens au courant. Comment faire autrement ? Je note que le chef des armées (article 15 de la constitution) n’est pas venu à la barre défendre notre Gégé national. Je parcours les titres en écoutant une playlist millésimée 1980*. Il s’agit d’un détail important. La musique m’entraine ailleurs, à la recherche d’un point probablement introuvable qui se situerait à équidistance entre ici et hier. J’ajouterai pour faire bonne mesure que je ne m’interdis pas quelques incursions vers un futur subrepticement entrevu. J’appelle ça une approche quantique de la réalité.

* Pour la restauration rapide, les bagnoles électriques et les réseaux sociaux, le boycott ne devrait pas poser de problème. En revanche, je déclare forfait pour la musique, les livres et les films.

mercredi 26 mars 2025

1975 (suite)

 

Tel un artefact descendu de l’espace, un nouveau trimestriel de bande dessinée apparut un matin. Il y en avait une petite pile près de la caisse de la librairie-papeterie en face du lycée. On prenait un exemplaire entre les mains, on le feuilletait avec curiosité. Sur la couverture, un monstre signé Moebius nous montrait les crocs en hurlant (ou en aboyant) dans notre direction. Après quelques BD en noir et blanc, les premières pages d’ARZACH faisaient une forte impression. On restait un instant subjugué par une forme inconnue de poésie visuelle. Puis on reposait le magazine sans l’acheter. Trop cher. Trop nouveau. Trop beau. Un peu plus tard, nous allions nous y plonger longuement.


mardi 25 mars 2025

"Nous sommes en guerre."

 

"Je dis ça de manière tranchée. Mon existence est envahie par les rapports marchands, par les marchandises. Je suis personnellement attaqué très violemment par le monde marchand. J’ai pu échapper au salariat (en tant que prof). Je pars du côté de l’écriture en me disant : « Je vais fonctionner pour moi. » Constat : je suis assiégé. Faut que je trousse mes intrigues pour que ce soit plus facilement achetable par le cinéma, ou pour que je puisse manger. Je dois me soucier du prix du pain. En même temps j’avais essayé d’échapper à ça." 

Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemiesEntretiens 1973-1993

Entretien publié dans Révolution, 1983

lundi 24 mars 2025

Lu

Patrick Eudeline, Perdu pour la France (Editions Séguier). Lecture régressive. J’assume. Le gars est un peu frimeur. Un rocker cabossé avec des principes et qui sait raconter honnêtement des anecdotes de papy rock. Comme nous avons un certain nombre de goûts et de rêveries en commun, cela fait de lui une sorte de double qui a eu le courage de vivre jusqu’au bout les fantasmes que générait la lecture de la presse spécialisée chez les gamins des années 70. Mais le meilleur du livre, ce ne sont pas les mésaventures d’un junkie rencontrant d’autres toxicomanes plus ou moins célèbres (Syd Vicious, Nico ou Anita Pallenberg). Les passages les plus réussis se trouvent du côté des passages à vide, comme lorsque l’auteur devenu SDF descend sur la côte d’azur armé d’une guitare sèche et d’une casquette pour faire la manche chez les touristes.