G-0C9MFWP390 Le Carnet de Joe Legloseur

mercredi 19 février 2025

Ceux qu'on revoit

 


Revu Mes petites amoureuses de Jean Eustache. Le film est sorti en 1974 et c’est l’un des premiers que je suis allé voir en salle lorsque je suis arrivé à Paris. Il m’avait fait un énorme effet. Le dépaysement du quartier latin a dû jouer, mais également la mise en scène, les silences, le jeu distancié des acteurs, Ingrid Caven, la lumière et les travelings. Et puis les souvenirs d’enfance à la campagne étaient encore récents. J'ai revu ce film plusieurs fois mais c’est la première fois que je le perçois sous son angle sociologique. Le film d’Eustache ne juge pas les adultes qui entourent le personnage principal, il fait sentir à travers des petites scènes qui sonnent juste la violence et la cruauté involontaire qui se dégage de ces individus dont la survie matérielle est difficile, leur hostilité envers la culture (« A quoi ça va te servir de faire des études ? »), leur mesquinerie, leur besoin de rabaisser les plus faibles (terrible scène avec Pialat). Heureusement, il y a les copains et surtout ces créatures étranges aux réactions imprévisibles : les filles.  


mardi 18 février 2025

Tentative de diversion


 J’ai l’impression de percevoir un petit coup de mou du côté des trumpo-muskiens français. Mais peut-être que je me trompe. Je les connais assez mal et toujours de très loin. Si jamais c’était le cas, alors il faut qu’ils se disent que c’était le prix à payer pour éradiquer (entre autres) la menace woke, l’écologie punitive, l’arnaque du climat*, la déconstruction du genre à l’école primaire, la dictature du politiquement correct, le terrorisme féministe et l’invasion des transsexuels. La violence des moyens employés est à la hauteur de la tâche, immense. Gageons que dans quelques années, lorsque la fumée se sera dissipée, on y verra plus clair.

* Plus de soucis avec le dérèglement climatique : toutes les données scientifiques sont en train d’être effacées.

L'illustration est de Bill Térébenthine

lundi 17 février 2025

1975 forever

 

Le surgissement à l'écran d’un personnage peut entrainer par résonnance des souvenirs adjacents. Le portail qui mène au point d’où partent les corridors du Passé s’est entrouvert. A vrai dire je regardais assez souvent par-dessus depuis le début de l’année (l’effet cinquantenaire, probablement). J’attendais qu’un évènement déclenche l’expédition en direction de l’année 1975. C’est fait.  J’ai 17 ans, depuis la rentrée j’ai quitté mon village au bord de la Marne pour venir habiter Paris.


samedi 15 février 2025

Le choc

 

A propos du temps, il y a pire que de voir son visage le matin dans le miroir de la salle de bain : tomber sur une photo d’un ami du lycée pas revu depuis. Il occupe maintenant une fonction honorifique qui l’amène à se faire prendre en photo serrant la main à un maire ou participant à des festivités collectives en costume cravate. On nous dit que c’est un retraité de 68 ans. Comment est-ce possible ?


vendredi 14 février 2025

Au carrefour du temps


 Il y a des physiciens qui assurent que le temps n’existe pas. S’il s’agit d’une illusion, alors elle terriblement tenace. On peut en revanche tenter de s’évader momentanément de ce présent pesant où, comme chantait Lou Reed, tous les politiciens émettent des cris insensés et tout le monde rabaisse tout le monde. Comment ? En suivant le mode d’emploi qui se trouve dans les écrits d’André Hardellet. Ce qui frappe en le lisant, c’est la précision de ses souvenirs d’enfance. « Les cris des martinets ou le choc étouffé du marteau chez le menuisier, j’en ressuscite quelquefois le timbre exact, à force de patience, dans ma nuit sourde, et cette vérité me frappe ; rien n’a disparu. » Cela ne marche à tous les coups et l’IA ne pourra pas vous aider. Il faut de la patience, beaucoup de patience. L’insomnie de trois-quatre heures du matin peut être un moment propice.

jeudi 13 février 2025

Les vérités momentanées


 Dans un article consacré aux multiples corrections apportées par Montaigne à ses Essais, Michel Jeanneret écrivait ceci : « Moins que l’énoncé, c’est donc l’acte d’énonciation qui compte et, moins que la chose racontée, le sujet qui, ici et maintenant, la raconte. Ce discours de l’immédiat est vrai par rapports à l’instant où il est proféré, mais sera peut-être faux demain, quand l’objet aura changé et que le je qui le garantit ne sera plus le même. D’où il découle que, pour demeurer véridique, le texte des Essais doit être constamment corrigé ou complété. » (Le Magazine littéraire, octobre 1992) 

mercredi 12 février 2025

Lourdes, lentes

 

Dans les premières pages du roman d’André Hardellet, l’auteur se met dans la bonne disposition pour se laisser aller à une rêverie sans frein. « Presque chaque soir, vers neuf heures, je prends un bouquin et m’allonge sur mon lit. Souvent, j’abandonne vite ma lecture ; commence alors l’étendue d’immobilité et de silence apparents où je découvre ma totale liberté. » Ces mots résonnent lorsqu’on sait à quoi va être confronté le poète qui s’apprête à célébrer la beauté du corps féminin dénudé et le miracle  du plaisir partagé. Le livre est publié sous un pseudonyme par mesure de précaution (Hardellet était conscient du caractère subversif de sa démarche de dévoilement). Hélas, il tombera entre les mains d’un ministre de l’intérieur particulièrement sensible aux provocations : le sinistre Marcellin qui fut également responsable de l’interdiction de Hara-Kiri hebdo. En 1972, lors d’un procès éprouvant, notre censeur obtiendra gain de cause par l’intermédiaire d’un juge zélé particulièrement agressif envers l’écrivain « coupable d’atteinte aux mœurs ». La légende raconte qu’André Hardellet fut très affecté par cet épisode judiciaire. Le fait est qu’il mourut peut de temps après. 

mardi 11 février 2025

Dialogue


 

‒ Si on n'a pas un bracelet électronique à 70 ans, on a raté sa vie.

‒ C’est un peu facile.

‒ Je sais.

‒ J’ai l’impression que cette condamnation te réjouit particulièrement.

‒ J’avoue. Tout m’a amusé dans ce procès. Et le message final destinés aux fans pour leur annoncer qu’il va se retirer de la vie médiatique est un chef-d’œuvre de comique involontaire.

‒ Tu continues, à ton âge, à avoir la même vision simpliste que tu avais à l'adolescence. Il y a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, ceux que tu apprécies et ceux que tu détestes.

‒ Je dirais plutôt qu’il y a ceux qui m’énervent. Cela peut se produire avec n’importe qui, en dehors des considérations politiques. Comme par exemple il y a cette Violette qui a gagné une course en bateau et qui est interrogée à la radio. Sa voix me tape sur les nerfs. Mais tu as raison. Arrivé à un certain âge, on doit pouvoir prendre les choses avec un minimum de recul. Violette joue son rôle de grande niaise fière de sa victoire dans le but satisfaire les médias et les sponsors. Chacun a ses raisons, ses mobiles, ses intérêts à défendre. Ainsi va le monde.

Ceci n’est pas un outil


 

C’est ce que nous dit Damasio dans un entretien sur notre relation avec l’IA. Il cite les propos qu’Ivan Illich a tenus à propos de l’informatique vers la fin de sa vie. « Cet ordinateur sur la table n’est pas un instrument. […] Un marteau, je peux le prendre ou le laisser. Le prendre ne me transforme pas en marteau. Le marteau reste un instrument de la personne, pas du système. Dans un système, l’utilisateur […], logiquement, c’est-à-dire en vertu de la logique du système, devient partie du système. » Une étape a encore été franchie avec l’IA selon Damasio. Il faut prendre ses marques dès maintenant. Trouver sa propre stratégie de cohabitation avec l’IA. Ce qui revient à se poser la question de la spécificité de l’humain en face d’une machine froide qui ingère et recrache des datas. Il nous reste le corps, les sensations, l’imagination. C’est probablement de ce côté que cela va se jouer.